Je m’attaque à une grande cause aujourd’hui et je n’ai pas peur. Je sais que j’affronte tout un pan de la société. Je vais peut-être heurter des âmes sensibles, me mettre des amis à dos, mais je me dois de condamner publiquement une pratique encore trop répondue et pourtant anodine pour certains. Et si mon message peut contribuer à une prise de conscience chez une partie de ses adeptes, aussi infime soit-elle, alors mon engagement n’aura pas été vain…
Il existe parmi les usagers de la route de multiples comportements négatifs , il y a des conducteurs dangereux (ce n’est pas le sujet ici), des conducteurs incivils (que l’on peut insulter en toute liberté bien à l’abri derrière son pare-brise, ce n’est pas le sujet non plus), il y a aussi des mous, des hésitants, des seuls-au-monde…. Mais celui que je dénonce ici, c’est peut-être toi, car ce profil se cache derrière des façades de gens tout à fait normaux et fort fréquentables. Oui, c’est peut-être toi, celui qui, quand il a fait son plein à la station service, joue encore de la gâchette tel un cow-boy nostalgique du Far-West pour arrondir la somme.
Je n’ai qu’une question : pourquoi ?
Oui, pourquoi ? Nous, on est derrière, on revient de la salle de danse où on a jeté son enfant, on a les courses à faire, un colis à aller poster, bref on a un timing à tenir. On est là, le pied sur l’accélérateur, tel Vatanen, prêt à rejoindre la pompe n°4 (parce que, désolé la 3 est en panne, et il n’y a plus de E10 à la 1 ni à la 2). On regarde l’heure, on calcule dans sa tête : si je jette le colis à la postière, si je ne passe pas aux légumes à Carrefour et que je ne prends que des pâtes à la place, c’est bon je serai à l’heure pour récupérer Luce à la danse. Le cerveau est en zone rouge de compression de données de tout ce qu’il faut faire en à peine une heure, et on voit la personne qui prend son temps :
64,32€. Encore un peu : 64,44 €. Ouh, c’est pas assez ça : 64,52€. Je clique, je clique : 64,73€. On y est presque : 64,81€. Je m’approche : 64,85€. J’ai l’impression que mon réservoir est plein, je vais un peu retirer le pistolet, ce serait dommage de s’arrêter si près du but : 64,94€. Attention il faut être léger : 64,96€. Oui, j’y crois : 65€. Victoire ! Quelle satisfaction, j’ai géré ça comme un chef, c’est mon banquier qui va être impressionné !
À ce moment-là, je m’imagine passant à la caisse du supermarché juste devant cette personne. L’hôtesse de caisse m’annoncerait 85,32€. Et là je m’exclamerais :
Oh non ! C’est dommage, attendez je vais chercher du dentifrice pour arrondir. À mon retour, on en serait à 86,92€. Oh zut, c’était pas loin, laissez-moi une minute je vais chercher de la farine : 88,14€. Ça alors, c’est ballot. Qu’est-ce que vous avez en chewing-gums? 1,86€ c’est parfait ça pour arrondir ! C’est quoi le parfum ? Pomme de terre, ah dommage, j’aime pas ça…
Vous suivez ma réflexion ? Pourquoi appliquer à la station-service un arrondi de paiement que vous ne faites nulle part ailleurs ? Libérez-vous de cette charge mentale ! Lâchez prise sur le pistolet ! Et je suis prête à parier que votre banquier ne s’en rendra même pas compte.
J’espère avoir brisé un tabou, soulagé des pressions crâniennes de non-dits. Peut-être, au cours de cet article, vous êtes-vous reconnu et avez-vous pris conscience du caractère incongru de ce comportement limite démoniaque (ok, je m’emporte). Pensez à moi lors de votre prochain plein et raccrochez au premier signal lancé par la pompe. Vous verrez, vous ressortirez grandi de cette expérience !